Bitna connaît trop bien la mécanique de ces journées, le lever à l’aube pour arriver en premier sur les sets afin de tout préparer. Magie qui s’opère dans l’ombre, avant que le spectacle des décors et des appareils ne se mette en place. Ce sont ces quelques heure suspendues qui font la magie du métier, l’illusion du calme avant l’enchaînement frénétique des flashs et des costumes pour créer une oeuvre plus grande que soi. Enfin, quand le bruit des pas des assistants de set et du photographe finit par troubler sa précieuse routine, elle sait qu’il est temps pour elle de libérer son ouvrage, pour qu’il rejoigne cette toile et enfin la complète. Alors qu’elle range doucement les produits étalés sur la coiffeuse, elle sait que le plus gros de son travail est à présent terminé. On ne l’appellera plus désormais que pour quelques retouches ici et là, juste de quoi ponctuer sa journée et justifier sa présence sur le set.

Les heures s’écoulent et se mélangent, à intervenir ici et là pour une retouche de teint ou une question sur la palette de couleurs. Profitant d’un moment de creux, Bitna s’éclipse doucement du set et, après quelques sourires polis adressés aux autres travailleurs, se glisse doucement hors du studio pour retrouver la lumière naturelle du soleil froid d’octobre. Glissant les mains dans les poches de son manteau, elle frissonne en repensant à la température bien plus agréable à l’intérieur. Mais la pause est trop importante pour qu’elle songe à y renoncer, elle qui a tant travaillé pour en arriver là. Il y a quelques années, elle n’aurait jamais imaginé avoir ce genre de responsabilités, et encore moins cette aisance sur les plateaux comme celui d’aujourd’hui. Mécaniquement, elle sort son paquet de cigarettes et en coince une entre ses lèvres avant de plonger sa main dans sa poche à la recherche d’un briquet. Mais ses mains se referment sur du vide et, après quelques secondes à maladroitement fouiller ses vêtements, elle tourne timidement sa tête vers la personne venant d’apparaître à sa gauche. Excusez-moi, est-ce que vous auriez un briquet à tout hasard ? Demande-t-elle en esquissant un sourire embarrassé, la clope toujours coincée entre ses lèvres.

@ libre  

dans ses routines, jane trouvait souvent de quoi faire pétiller son coeur. tisser des pensées de ses rêves farfelus, tendre les bras à de nouvelles expériences sans pour autant se mettre à découvert. c'était plus difficile qu’il n’y paraissait, encore plus depuis qu’elle avait retrouvé les bras de sa chère et tendre. trop de difficultés pour qu’elle ne laisse un rien briser le calme qui régnait enfin dans leur relation. une relation qui avait fini par la fatiguer, bien qu’elle ne souhaitait pas l'admettre. les disputes l’avaient usée et pourtant, elle aurait pu continuer, encore et encore, quitte à se laisser ronger jusqu'à l’os, jusqu'à l’âme, quitte à ce qu’il ne reste d’elle qu’une coquille vide.

elle avait besoin de sortir, rester enfermée était devenu insupportable et elle se retrouvait souvent à se promener, oubliant presque son statut d’idole. même sa rencontre tumultueuse avec kangbae n’avait su la préserver de prendre ce genre de décisions. les rues, les ruelles, elle commençait à les connaître, à savoir ou s'arrêter pour être tranquille. les endroits fumeurs étaient devenus son échappatoire et les personnes ne lui prêtaient que peu d’attention. chacun présent pour un moment en solitaire, à ne pas se soucier des personnes autour. et parfois, elle aimerait qu’on la voit, qu’on la regarde, qu’on la remarque et qu’on lui adresse la parole ; autant qu’elle voulait être ignorée, et laissée dans la fumée fugace de ses pensées.

elle fut donc surprise d’entendre une voix féminine l'interpeller, la sortant complètement de ses rêveries pour la ramener sur terre. un briquet. une demande simple et pourtant parfois si lourde de sens. dans un autre contexte. être en couple semblait le meilleur moment pour s’imaginer tout et n’importe quoi. elle n’avait pas encore pu observe le visage angelique de la jeune femme qu’elle se sentait transportee dans d’autres reveries desquelles elle devait se detacher pour ne pas avoir l’air de quelqu’un de stupide. oui bien sur ! un instant. main dans la poche pour retrouver son briquet utilise à peine quelques instant plus tots, elle se sentait tel un enfant lors d’une interaction étrange avec une personne d’un autre monde, celui des adultes. tenez. et un sourire qu’elle espere assez joli pour cacher la fatigue mentale qui devait être plus grande qu’elle ne l’imaginait. elle espérait ne pas le montrer, ne voulait remarquer les mauvais détails que parce qu’il s’agit d’elle-même.

@yun bitna  

L’attente ne dure pas longtemps. Briquet qu’on lui tend comme une éclaircie entre les nuages. Ses yeux s’arrêtent un instant pour détailler le visage venant casser la banalité de sa journée. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour reconnaître le faciès - de la même façon qu’on reconnaît les oeuvres dans un musée, leurs noms retenus avec une distance de sécurité. Trop usée à l’industrie, au défilement des agences et la répétition des studios photo, à croiser ces silhouettes qui quelques années encore avant la faisaient rêver comme les plus grands travaux d’art. Les toiles qu’elle peignait ont été remplacées par les visages trop parfaits, les nymphes classiques ont été éclipsées par les sirènes tentatrices. Ce qui autrefois se faisait jardin d’éden inaccessible est aujourd’hui devenu un monde tenant dans le creux de sa main, à se jouer d’elle et de sa proximité des étoiles pour mieux lui rappeler le voile qui les sépare. Merci beaucoup qui s’échappe en bégaiement d’entre ses lèvres, moins assuré que ce qu’elle aurait aimé. À préférer s’afficher inaccessible plutôt que dévoiler ses hésitations et sa fondation si fragile. La flamme du briquet danse devant ses yeux et la tire de ses réflexions, alors qu’elle lui tend l’objet de convoitise pour le lui rendre. Le nuage de fumée qu’elle recrache lui permet d’observer secrètement les traits de son visage, à le détailler comme l’on détaille un tableau. Habitude du métier lui faisant voir tout ce que l’autre cherche tant à cacher, les sensibilités exacerbées, les défauts camouflés. Mais elle ne dit rien de tout ça - elle n’oserait pas, de toute manière. Elle a laissé son assurance dans la loge, là où tous attendent d’elle qu’elle soit professionnelle et irréprochable. Le coin fumeur est là où elle peut laisser tomber le masque et embrasser le chaos de sa vie, sa tête et ses sentiments. Je vous en aurais bien donné une en guise de remerciement, mais bon… Commence-t-elle en gesticulant vers la cigarette déjà allumée entre ses doigts, avant de réaliser l’affreux ridicule de sa phrase et sentir le rouge lui monter aux joues. Désolée. Cette pause est censée m’aider à faire le tri dans mes pensées, mais ça n’a pas l’air de marcher. Sans savoir où cette discussion peut bien les mener, si même celle en face d’elle a envie de continuer. Peut-être est-elle juste en train de s’embarrasser - cette simple idée suffit à la mortifier, et elle se terre à nouveau derrière l’écran de fumée qui s’échappe d’entre ses lèvres.

@koike jane

la cigarette entre ses doigts est vite regrettée. à peine eut-elle le temps de tirer une bouffée qu’elle pense déjà à l’odeur qui finira par imprégner ses vêtements, son haleine, ses doigts. et rien de ce qu’elle fera ne l'épargnera tant qu’elle ne rentrera pas se doucher et se brosser les dents, elle en était persuadée. pourtant, elle ne s'arrête pas et pose simplement son regard sur la jeune femme à ses côtés. observant chaque détail comme s’il était de la plus haute importance. dans ses rêveries, elle se laisse emporter par le flot d’informations et prend son temps pour ne pas se laisser submerger.

une prochaine fois peut-être ? sa voix douce, elle se permet un sourire alors qu’elle récupère son briquet pour le ranger et tire une nouvelle fois sur sa cigarette. l’effet escompté est là, elle se sent mieux, sa respiration est plus régulière. mais ce n’était apparemment pas le cas de la jeune inconnue. jane ne savait pas si elle devait l’aborder, mais elle interprétait cela comme une perche tendue qu’elle attraperait facilement et sans la moindre hésitation. peu importe la suite de leur conversation, elle ne l’avorterait pas de si tôt.

comment ça ? plus que tout, elle était intriguée, voulait en savoir plus sur ces pensées que la demoiselle avait. curiosité malsaine qui s'immisçait en elle pour la tenter de poser plus de questions. je peux peut-être vous aider ? si vous voulez en parler évidemment. laisser le choix, même si on aimerait insister jusqu'à obtenir toutes les informations.

@yun bitna  

Les doigts de sa main libre lissent ses mèches déjà trop raides, geste nerveux alors qu’elle se perd dans les méandres de sa réflexion, les yeux perdus dans le lointain. L’inspiration comme une muse qu’elle poursuit sans cesse, tentant de l’attraper sans jamais se faire au rythme de cette course effrénée. Le sourire que l’inconnue lui offre lui serre le coeur de sa douceur, une promesse à demi formulée qui vient dissiper les quelques nuages de ses pensées. Peut-être. Lui répond-elle doucement en hochant le menton, quand bien même la magie de ces rencontres réside dans leur improbabilité, heureuse sérendipité. Néanmoins elle se plaît à imaginer cette prochaine fois, un voeu pour l’avenir quand ses jours se referont sombres. Oh, c’est juste une impasse créative. Ses mains s’agitent pour remuer l’air, repoussant des étaux imaginaires. Ça a toujours été comme ça, des jours avec et des jours sans. Mais là, aujourd’hui, je ne peux pas me permettre de faire sans. Alors je me fais violence, je force et je force et je force, mais ça ne me satisfait jamais entièrement et je reste frustrée. Est-ce que cela a le moindre sens ? Tente-t-elle d’expliquer en grimaçant, les mots sortant plus vite que ce qu’elle aurait aimé, elle qui tient à garder son image composée et assurée. Mais la curiosité de la brune semble sincère et l’invite à dire plus, espérant même la voir compatir quand elle sait que leurs deux univers ne sont pas si différents, tous deux créatifs et épuisants. Néanmoins, ce n’est pas son souhait de l’entraîner dans la révélation de son identité, discrétion obligée du métier quand l’on fréquente des célébrités à longueur de journée. Je suis make-up artist. Finit-elle par ajouter, comme si cela pouvait expliquer un peu mieux ses tergiversations. Je viens de terminer le gros d’un shoot, mais je n’ai qu’une seule envie, c’est courir à l’intérieur et tout recommencer. Je sais que j’ai fait un excellent travail et qu’il remplit parfaitement le cahier des charges, mais ce n’est pas mon meilleur, et c’est tout ce à quoi j’arrive à penser. Les cendres de la clope rougissent et tombent à ses pieds alors qu’elle reprend une bouffée, expirant avec elle tout ce qu’elle a tendance à garder cadenassé. Puis, avec un sourire penaud, elle tourne son visage vers elle et ajoute. Et maintenant, je vous balance tout ça dessus. Quelle ingéniosité ! Pourtant, tout ce à quoi elle parvient à penser est la prochaine fois où elle aura besoin de ce briquet, peut-être juste une excuse pour recommencer.

@koike jane