Un permis passé pour une pointe d’orgueil et un besoin superficiel d’occuper la place de parking à son nom ; presque obsolète face au désintérêt le plus total de se mêler à la foule de sauvages jonchant les rues de la capitale. Mais Kiyong n’était rien si contradictoire et choisir toute une panoplie d’options pour un véhicule dédié à l’abandon lui avait procuré une dose de sérotonine temporaire mais bien réelle. Alors, poussé par cette forme de culpabilité irrationnelle que l’on attache aux objets inanimés et délaissés, Kiyong se forcait à conduire sa propre voiture de temps en temps : des petites virées ou des déplacements plus personnels que l’on souhaite garder pour soi, avec parfois des arrêts imprévus. Par exemple, en apercevant un restaurant familier déclenchant un besoin vital d’y prendre quelque chose. Décidé à être discret et bref, il se résigna au calvaire du stationnement en milieu urbain en amorçant un créneau malgré un manque cruel d’entraînement. C’est au cours d’une énième manœuvre que Kiyong remarqua qu’il avait un spectateur. Il y avait pire que de déferler sur le net comme cet idol qui ne sait pas se garer, mais hey. Il baisse la vitre, lâche un « Me regarde pas, ça me stresse » et prie qu’il ne s’agisse pas du propriétaire d’une des voitures l’encadrant.

la liberté avait un goût acide et maeum n’avait rien trouvé de mieux que quelques substances à boire ou sniffer pour chasser la pastille aigre douce cachée sous sa langue. la contrepartie était qu’elle ne se sentait pas plus heureuse le lendemain, juste terriblement triste et tout aussi affamée. à peine lavée de sa longue nuit et franchement pas reposée, elle avait traîné sa carcasse cabossée jusque dans un restaurant un peu au hasard. l’idée n’était pas de bien manger mais de trop manger afin de retrouver des couleurs et l’envie de travailler. de rejoindre un studio de danse et les immenses miroirs emplis de jugement, donc. arrivée aux abords de l’endroit qu’elle avait désigné comme espace ultime de restauration, du moins pour aujourd’hui, la jeune femme fut prise d’un besoin encore plus précent que celui de se sustenter. fumer. revoir son ordre de propriété ne serait pas du luxe mais elle avait le cœur brisé, elle pouvait donc faire ce qu’elle voulait. ça c’était elle qui le disait… pour éviter qu’on ne lui fasse la moindre réflexion, elle s’arrêta dans une rue plus empruntée pour stationner que se promener. appuyée contre un mur elle profitait d’une cigarette plus ou moins méritée jusqu’à ce qu’une voiture à quelques pas d’elle attire son attention à force de manoeuvrer pour entrer dans une place. d’humeur propice à s’amuser du malheur des autres, maeum n’essaya même pas de retenir un sourire de venir l’un des coins de sa bouche en regardant le ou la pauvre galérer. ce fut l’apothéose lorsque le conducteur en perdition baissa sa vitre pour lui faire une réflexion. encore une fois, impossible de ne pas ricaner. “besoin d’aide ?” elle fit quelques pas vers le jeune homme en affichant une expression gentiment moqueuse. “si tu veux je la gare pour toi.” elle jeta un regard sur le véhicule comme si elle était capable de déterminer la marque et le modèle. “je suis super précautionneuse, je conduis une porsche.” à croire que la valeur de sa propre voiture allait changer quoi que ce soit, d’autant plus que maeum faisait parti de ces affreux gosses de riches qui n’avaient pas peur d’emboutir une voiture européenne puisqu’ils pouvaient toujours s’en acheter une neuve.

Idéalement, la scène aurait été tout autre : une main sur le volant, l’autre sur le rebord de la fenêtre tandis qu’il exécute une manœuvre parfaite. Un visage serein plutôt que tordu sous la concentration et l’agacement de sa tâche. Peut-être même l’indulgence d’un sourire charmant pour la belle spectatrice admirant ses prouesses. Mais Kiyong n’était qu’un homme coincé dans sa belle voiture et n’ayant vraisemblablement jamais compris le vrai sens du mot “parallèle”. Peu importe. Kyong enclencha les warnings et se pencha à la fenêtre pour renvoyer un sourire à son interlocutrice. « Tentant, mais il faut que j’y arrive seul, non ? A moins que tu te proposes de venir à ma rescousse à chaque fois ? », un battement de cils exagéré et une moue aux lèvres comme la pauvre petite créature pathétique qu’il était. « Mais je veux bien que tu fasses le guet ! ». Ca ferait mauvais genre de se prendre une soufflante par un inconnu sur la voie publique. Un clin d'œil et il repart, maltraitant ses roues dans un ballet avant-arrière, grimaçant sous chaque léger impact avant de stopper le véhicule dans une position presque correcte ; ni dangereuse, ni exemplaire. Kiyong s’extirpa de sa voiture, non sans une petite prière pour que l’une des voitures autour de lui disparaisse avant son retour. « Sois honnête, tu me donnerais le permis après cette masterclass ? ».

le brouillard de ses méninges était en train de se lever doucement alors que maeum s’amusait des mésaventures du conducteur. la comédie qu’il lui offrait devint encore meilleure lorsqu’il la remarqua et engagea la conversation avec la jeune femme. qui aurait pu croire que les affres d’un jeune conducteur, elle lui souhaitait d’en être un, serait l’étincelle qui manquait à sa journée ? une chose était sûre : maeum comptait bien profiter de cette dose inattendue de sérotonine. elle haussa les épaules aux dires du garçon. la danseuse était tout sauf une battante et à sa place elle aurait abandonné depuis longtemps en priant pour que personne n’ait remarqué ses galères. sa voiture ne passait pas aussi inaperçue que celle qui refusait de se garer. “non mais je veux bien être là pour te regarder galérer à chaque fois.” son sourire malicieux s’étira encore plus. un peu plus et elle remerciait le garçon pour son intervention salvatrice. maeum hocha la tête. “ok mais je suis pas sûre que ça change quoi que ce soit.” elle recula pour laisser ce maestro de place de parking s’adonner à son art sans en perdre une miette, ne se privant pas de quelques grimaces lorsque son véhicule prenait des directions incongrues. ça en devenait presque douloureux et elle se surprit à soupirer de soulagement lorsque le conducteur réussit enfin à garer sa voiture. elle fit quelques pas pour retrouver le jeune homme enfin sorti de sa prison de métal et de honte. difficile de retenir une moue dubitative en voyant l’angle des roues. “pas sûre. si tu conduis comme tu te gares…” elle laissa planer la fin de sa phrase dans la petite rue. tout ceci se passait de commentaires. “t’as mangé ? je te paies un déjeuner pour te consoler.” sans un regard pour le jeune homme, elle fit quelques pas en direction du restaurant où elle avait prévu d’aller avant que son attention soit attirée ailleurs. “tu viens ?” demanda-t-elle en regardant derrière elle.

« Si tu veux ! je suis né pour divertir après tout » minaude-t-il, excessivement confiant pour un homme en lutte avec un objet inanimé, mais le risque de l’embarras ne l’avait jamais inquiété. « Tant que tu me filmes pas. J’ai une réputation à maintenir », mais ses fans ne seraient-ils pas charmés par ce petit aperçu d’une personnalité imparfaite et admise ? Un petit défaut innocent pour masquer les failles de l’homme derrière l’idol. Celle de beaucoup trop parler sans avoir le répondant adéquat par exemple, d’où sa requête. Kiyong sexecute dans cette manœuvre qui devient interminable, mettant fin à son calvaire et la moquerie probable de rares citoyens accoudés à leur fenêtre. Le secret ? Ne pas abandonner, une belle leçon pour toutes ces âmes qui boivent ses paroles sans une once de remise en question. Kiyong porte une main au cœur dans une blessure feinte sous les mots de son interlocutrice, luttant quelques secondes contre le sourire qui s’étale finalement sur ses lèvres. « Je suis exemplaire sur les lignes droites et désertes », mais Kiyong ne souhaite plus s’éterniser sur ses prouesses de conduite, distrait et charmé par la nouvelle proposition qu’on lui fait. Éternel vainqueur, récompensé pour ses inepties et Kiyong n’est qu’un homme simple, ravi qu’une belle femme lui dise quoi faire. « Tu es mon ange gardien  » souffle-t-il, soudainement affamé. Une petite prière pour qu’on ne le reconnaisse pas - le risque de faire de son sauveur une cible - et Kiyong la suit dans l’établissement, aussitôt happé par les arômes qui baignent les lieux. « Promis, je me comportes mieux à table que sur la route »

qui aurait pu croire que les mésaventures d’un conducteur en péril arrivent à chasser les nuages orageux qui s’étaient amassés au-dessus de sa tête. pourtant voilà que maeum se retrouvait à sourire et presque à rire avec un parfait inconnu sans que la moins substance chimique soit venue engourdir ses sens. “ah bon ?” question posée en l’air sans même chercher à donner du sens aux paroles du garçon ni à savoir d’où lui venait cette fameuse réputation qu’il devait protéger. même pas alors qu’elle-même côtoyait des célébrités. le milieu dans lequel il évoluait n’était là que pour occuper la danseuse et lui donner l’illusion de faire partie de la vraie vie. celle des gens qui ne naissaient pas en possédant déjà un patrimoine immobilier. et puis c’était bien plus divertissant de se moquer du garçon que de se demander  qui il pouvait bien être. si ce n’est un très mauvais conducteur. n’importe qui vous direz que la jeune femme n’était pas bien meilleure mais personne n’était là pour témoigner en sa défaveur alors c’était une toute autre histoire… “tu sais le bus c’est très bien aussi.” elle ne l’avait que très rarement pris mais elle avait trouvé l’expérience tout à fait charmante. finalement elle enfonça ses mains dans la poche ventrale de son sweat-robe et avança en direction du restaurant en invitant ce conducteur du dimanche à la suivre. maeum se sentait d’humeur généreuse et elle n’avait franchement pas envie de se retrouver seule face à son bol avec pour seuls compagnons d’infortunes un mal de crâne et son chagrin. “en même temps c’pas bien difficile.” un sourire moqueur fleuri sur le coin de ses lèvres. “il me faut une soupe pour la gueule de bois et du soju.” pensa-t-elle à voix haute alors qu’ils n’étaient plus qu’à quelques pas de l’entrée du restaurant.