❝ Il faisait beau dans ses yeux. Le type de regard que l’on cherche une partie de sa vie, qu’on attrape qu’une seule fois ; redoutant sa disparition dès qu’il se pointe. Dans les iris ambré de Kiyong, elle s’était déjà perdue tant de fois qu’il avait hanté ses nuits - le visage de sa déception, le goût amère de son silence - toute la scène du bal hivernal l’avait accompagnée dans ses cauchemars. Fautive, elle l’était. Anéantie, plus encore. Il n’y avait rien de pire que la perte d’un être qui a insufflé le souffle à une autre âme. Rien de pire que la chute du château de sable engloutit dans un océan de larmes. Tout s’était enchaîné. Un train qu’elle n’avait manifestement pas réussi à prendre à temps. Quelque chose de plus grand, mille fois plus grand qu’elle. Alors elle s’était enfoncé, Naomi, dans ce puits sans fond, et cette fois-ci, il n’était pas là. Il n’y avait pas de paume réconfortante au-dessus de sa main, aucun regard calmant ses angoisses, apaisant ses tremblements. Pas l’ombre d’un sourire à l’orée des couloirs. Seulement une épée de Damoclès prête à l’abattre au moindre signe de faiblesse de sa part.
Ainsi, elle avait continué à lui écrire quelques fois - en réalité, dès qu’elle se sentait capable de lire les derniers messages langoureux qu’ils s’étaient échangés avant le drame - et s’était toujours contentée des nombreux vus l’a narguant. Les derniers moments partagés ensemble au bord de la plage ne devenaient alors plus que de vagues souvenirs ; les premières conversations, plus que des mirages imaginés dans ses rêves les plus doux. La vie s’était faite tellement belle qu’on aurait dit un poème, mais elle a soudainement pris une autre direction, juste au-delà de l’horizon. Une multitude d'épreuves qui n’avaient cessé, encore aujourd’hui, d’interrompre l’urgence des mots, et ses yeux s’étaient inévitablement écarquillés lorsqu’il a finalement répondu.
Il était plus facile d’être caché derrière un écran - des mois durant à retranscrire des pensées comme on les écrit dans un journal - mais l’angoisse monte soudainement lorsque le poignet s’articule en un geste énergique contre la porte de l’appartement, rendant plus concret le rendez-vous nocturne. Tout est en désordre. Ses cheveux sont en pagaille. Ses vêtements, froissés. Ses mots. Sa vie. Ses sentiments. Plus rien ne reste du discours qu’elle s’est longtemps imaginé lui dire lorsqu’elle se retrouverai enfin devant lui. Il n’en reste plus rien puisque ses phrases se perdent à l’instant même où ses yeux se perdent dans les siens. La seule certitude naissante n’est qu’une stupide et furieuse envie de joindre leurs bouches, de reprendre goût à ses lèvres solaires, mais elle n’en fera rien. Naomi sait que la situation serait dix fois pire. Il ne lui pardonnerait jamais une telle humiliation. Néanmoins, elle trouve réconfort dans ses bras - dès que la porte se ferme derrière elle - parce que le silence entre eux lui donne l’impulsion de cette seule action, consciente de l’orage qui les submergera bientôt.
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❝ Le déni, un défaut à son service; sans doute la plus précieuse de ses armes. Kiyong n’a pas la légitimé de se morfondre, convaincu qu’il lui faudrait mille vies pour retrouver autant de privilèges. Alors, telle une divinité toisant les moins fortunés, il ignore et oublie. Plongé dans un quotidien effréné, Kiyong s’abreuve de discours faits d’orgueil et de louanges, prêt à reconquérir la certitude et quiétude de son âme. Tout pour purger la bêtise d’une croyance immature ; celle qu’il avait toujours su vaine mais qu’il s’était surpris à considérer de nouveau. Des sentiments futiles et impensables dans le monde qui était le sien, mais il s’était prêté à ce jeu dont les règles n’avaient jamais été établies. La défaite l’avait frappé de plein fouet. Et comme tout homme qui se pense au sommet et qui chute, Kiyong n’avait eu que l’humiliation pour l’accompagner au plus bas. Berné par le chant des vagues et l’intimité d’un moment hors du temps, Kiyong s’était laissé croire en un duo inévitable. Jusqu’au soir fatidique où tout s’était écroulé. Peut-être était-il maudit, destiné à ce que la source de son affection se détourne de lui une fois ses sentiments devenus plus clairs dans son esprit. Coïncidence ou leçon, Kiyong ne se souvenait plus du nombre d'occurrences nécessaires pour le définir, mais il connaissait par cœur le plan d’action à suivre.
Des messages lus par curiosité morbide ou plaisir cruel, mais Kiyong n’avait pu se résoudre à bloquer Naomi complètement. Il se laissait la possibilité d’un exutoire, l’indulgence de manifester sa colère ou de réclamer des explications. Mais Kiyong était lâche et avait dû laisser le temps panser son orgueil avant d’oser répondre. Une pique faite de nonchalance feinte, là pour irriter et blesser, comme s’il avait pu tourner la page sans le moindre effort. Sa position s’était effondrée tel un château de cartes au cours d’une conversation à leur image - chaotique et incomprise, familière - et c’est ainsi qu’il se trouvait incapable d’immobilité en l’attente de cette rencontre qu’il avait fini par céder. Le toquement contre la porte le fige un instant, mais Naomi a déjà suffisamment attendu. Une image pour en remplacer une autre et Kiyong préfère imprimer celle-ci sur sa rétine : une Naomi douce dans des vêtements confortables plutôt que divine dans une robe de soirée. Les traits abattus et la figure prudente devant sa porte plutôt que liées aux lèvres d’un autre. C’est elle qu’il aurait voulu garder et les mots lui manquent, mais Naomi fait le premier pas jusqu’à trouver la place qui était sienne. L’injustice et le désir luttent un instant, laissant ses bras ballants et raides, incapables de retourner l’enlace de peur de ne pas pouvoir s’en défaire. Passer un bras autour de sa taille, la serrer contre lui et faire comme si de rien était ; si facile, si tentant. Aussi simple qu’un baiser sous une branche de gui. Kiyong la repousse doucement et fuit son regard. « Je t'ai dit de pas chercher à m'amadouer ». Elle n'a pas besoin de ça pour l'avoir de son côté, qu'elle lui a dit, et Kiyong n'avait aucune idée de comment prendre la chose. « Tu veux boire quelque chose ? », une excuse pour rétablir la distance entre eux, reprendre ses esprits et garder le cap d'une discussion prête à les défaire.
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❝ Maintenant qu’elle avait soudainement rompu la distance, il lui sembla d’autant plus douloureux de faire quelques pas en arrière et de reprendre goût à la triste réalité : jamais il ne lui rendit son geste. L’embarras était tel qu’elle voulut disparaître aussitôt, mais elle n’en fit rien et se détacha simplement lorsqu’il en initia le départ. Elle reste muette pendant qu’il l’assène d’une gifle verbale. Une remarque dans sa bouche qui ne lui sied guère, mais qui à l’audace d’être franche. Il lui semble lointain le temps où ses mêmes mots auraient été une blague entre ses lèvres, et à laquelle elle aurait répondu malicieusement, avant de se perdre dans son regard, victime de ses prunelles.
– Non. Je suis au régime, soupira-t-elle.
Pas très loin de la vérité, s’était pourtant un mensonge grotesque de sa part puisque ses derniers repas étaient composés de quelques morceaux de rien. Personne n’aurait envie d’un repas chaleureux lorsque la solitude pèse et que les scandales s’enchaînent. La faim avait un goût de facilité. Tout était chaotique là-bas, dans le cœurs des gens, comment pourrait-elle seulement prendre appétit de leurs malheurs ? En réalité, il y avait bien des jours que Naomi n’avait plus mis la tête dehors. Ses dernières journées s’étaient composés de regards fixés vers les différents murs de sa chambre, de plusieurs appels avec ses membres et son agence, ainsi que des allers-retours aux toilettes. La réponse de Kiyong à son millième message devait être l’une des meilleures nouvelles qui lui soient arrivés depuis des semaines, rendant d’autant plus affligeante la situation.
– De l’eau, peut-être.
Une réponse au hasard alors qu’elle cherche les mots qui sont restés bloqués dans sa tête. Cependant rien ne vient et ses doigts s’enfoncent à nouveau dans la paume de sa main. La nervosité revient à grands pas. Elle feint un sourire en le suivant jusqu'à la cuisine. C’est la première fois qu’elle pose les pieds chez lui, à Séoul. En d’autres circonstances, elle aurait sûrement posé autant de questions - et rougis autant de fois à ses sous-entendus - que lorsqu’ils étaient au bord de la plage. Cette fois, elle n’en fit rien. Ses yeux n’avaient même pas l’audace de se perdre en direction des quelques cadres qui habillaient merveilleusement bien l’appartement, puisqu'elle s'était persuadé qu’il s’agissait là de sa dernière visite.
– Je sais qu’il n’y a rien que je puisse reprendre au passé. Mais en dépit de ce que tu sembles croire, je pense qu’il est nécessaire que tu saches… que tu comprennes. Je n’ai jamais voulu nuire à ce que nous ayons semblé être pendant quelques temps, se risque-t-elle à dire.
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❝ Le cri strident du silence, un écho parfait aux membres qui se délient mais Kiyong ne la regarde déjà plus. Il serait bien incapable de supporter la réalité d’une blessure qu’il inflige, trop inconstant pour assumer un acte fait d’orgueil et de vengeance. Trop faible pour ne pas se confondre en excuses face à un visage meurtri, loin de sa plus belle version, celle qu’il a déjà immortalisée dans son cœur. Kiyong sent le marbre du plan de travail sous la pulpe de ses doigts, aussi froid et inflexible que l’industrie qui les emploie ; un monde ingrat qui demande toujours plus et Kiyong s’en trouverait scandalisé s’il ne le connaissait pas aussi bien. « N’importe quoi… » souffle-t-il. Au régime, pour quoi faire. C’est qu’il n’a pas besoin de poser ses yeux sur elle pour savoir qu’elle est déjà parfaite. Pas besoin – et pas envie – de se remémorer le contour de sa silhouette parcourue de ses mains pour savoir qu’il n’y a rien à lui restreindre. Déjà mince, Naomi paraissait encore plus frêle dans ses vêtements amples et sa figure défaitiste, comme si elle souhaitait prendre le moins de place possible dans cet endroit qui ne lui appartenait pas. Un hôte peu chaleureux et Kiyong n’avait jamais eu l’âme d’un décorateur d’intérieur, pourtant très critique des appartements stériles et monochromes que certains idols se plaisaient à montrer dans des émissions. Il avait souhaité quelque chose d’un peu plus convivial, mais quelques babioles et photos ne compensaient pas la négligence et l’absence régulière de son propriétaire. Le frigo lui, était suffisamment plein. Il en extirpe une petite bouteille d’eau – le minimum, effectivement – et pense brièvement aux chocopies présents dans un placard, trop significatifs pour qu’il ose les sortir. Il lui tend la bouteille au même moment où Naomi entame son plaidoyer et c’est à peine s’il sent la condensation lui glacer les mains. « Ce que nous avons semblé être pendant quelques temps ? », un léger rire amer qui s’échappe d’entre ses lèvres. Quelle manière excessivement compliquée de les définir. « Et c’est quoi exactement ? », la question à mille dollars, celle qui offusque et qui gène par son existence même, trop arrogante et idéaliste pour oser être verbalisée. Kiyong regrette la question dans la seconde, conscient de ne pas réellement vouloir la réponse, trop confortable et en sécurité dans son ignorance. « Tu me dois rien » enchaîne-t-il, une négligence jouée de toutes pièces, soudainement désespéré d’en finir, extrêmement inconfortable face à un flot imminent d’aveux inconnus. « Je suis pas sûr de ce que tu as voulu, mais ce que tu as fait c’est embrasser un mec et je me rappelle pas t’avoir interdit de le faire, donc… », volontairement obtus, prêt à jouer l’idiot plutôt que de se voir attribuer le pire des rôles ; celui de l’amant transi et niais qui se croyait spécial avant de voir ceux qu’on lui préfère.
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❝ C’était un risque qu’elle était prête à prendre, mais les mots une fois prononcés n’ont pas semblés être fait de la même soie qu’en répétition à la maison. Ou alors, est-ce la réponse qu’il lui offre qui donne à Naomi envie de reprendre ce qui s’est dit ? Il s’agissait d’un des scénarios qu’elle s’était longtemps imaginés, mais peut-être était-ce sans doute celui qu’elle plaçait en dernière position des probabilités. N’étaient-ils rien de plus qu’une image dans sa tête ? Rien de plus qu’un battement dans sa poitrine ? De tous les malheureux évènements qui l'ont criblés ces derniers mois, celui-ci était le pire d’entre eux - la joie devant ses messages soudainement extirpés - l'obscurité refaisant surface dans son intégralité.
– Ne fait pas semblant de ne pas comprendre… Tu ne peux pas dire que c’était seulement dans ma tête et qu’il n’y a jamais rien eu entre… renchérit-elle.
Puis le souffle lui manque. Et le nous disparaît - à jamais. Il y a une promesse qu’elle s’était faite envers elle-même lorsqu’elle est arrivée dans l’impitoyable industrie musicale : sa réussite, l’ascension en haut du classement malgré les épreuves tangibles - puisqu’il y en a toujours eu dans l’histoire des étoiles montantes - et la volonté d’être au service de ses fans, et uniquement d’eux. Kiyong avait été une hérésie inattendue et interdite dans l’équation. Elle s’était longtemps remise en question. Chacune de ses valeurs revues dans les moindres détails, à jamais être totalement à l’aise en sa présence, craignant le rêve éphémère lorsque la réalité refaisait surface et éclatait la bulle. Les risques, ils en avaient pris de nombreux, mais ils n'avaient jamais été aussi grands que lorsqu’ils ont regardé l’océan dans la même direction.
– Si je ne te dois rien, comme tu dis, parce que moi aussi je peux reprendre tes mots à la lettre, explique-moi ce silence pendant ces derniers mois ? demande-t-elle avec un sarcasme poignant. Puisqu’apparemment ce n’était que dans ma tête, explique-moi pourquoi tu as disparu après ce j’ai fait ? Mais peut-être que nous nous n’étions même pas… amis ? Ça aussi, c’était dans ma tête Kiyong ?
Sa voix se confond dans un rire d'amertume incontrôlé, dévoilant l’impacte plus qu’évident que ses mots ont créés dans sa poitrine. Pourtant, ce sont les larmes qui coulent, en même temps qu’elle prononce ses paroles, qui trahissent le plus son état. N’était-elle pas venue rendre meilleure la situation entre eux ? La colère ne devrait pas prendre possession de son corps - ce n’était pas envisageable dans son esprit il y a encore quelques minutes - mais elle rejeta d’un revers de main la petite bouteille d’eau qu’il lui tendait, comme si c’était la seule chose qui pouvait encore convaincre qu’elle était indépendante de lui et ses sentiments.
– Honnêtement, je ne sais pas à quoi je m’attendais de ta part, souffle-t-elle. Je ne connaissais pas cette partie de toi.
De ses manches, elle essuie les contours de ses joues. Sa fierté à disparue à l’instant même où ses lèvres ont touchés celles de Juyeol, donnant crédibilité à un oiseau intouchable. Pourtant elle n’avait, semble-t-il, jamais atteint un stade aussi profond.
– Il y a certaines informations que j’avais gardées en moi, parce que j’étais persuadé qu’en le faisant je te protégeais… mais comme ça n’a jamais été important à tes yeux, je vais te les dire. Après notre escapade, j’ai repris mes activités, tout comme tu as repris les tiennes, et je présentais le MY!CUE aux côtés de Juyeol. Depuis l’article nous concernant il me harcelait… Je t’en avais plus ou moins fait part d’ailleurs, mais tes blagues à ce sujet auraient dû être un avertissement suffisant, ironise-t-elle. Il m’a embrassé de force dans les loges.
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