la cravate autour de son cou desserrée, à force de trop l’étouffer tout le long de la soirée. dans sa poche, le téléphone semble peser une tonne, l’enfonçant petit à petit dans le sol jusqu’à l’enliser totalement dans son impuissance. les illusions contenues dans les bulles de champagne ont fini par se dissiper, pour ne laisser plus qu’un goût amer sur ses lèvres et un noeud dans sa gorge. l’imposture le reprend de plus belle, costume qui lui va bien mieux que ce deux pièces plus précieux que toutes ses économies. il pourrait rester là, paralysé, à regarder les corps défiler et se mouvoir avec ce naturel que lui n’a pas. elleux sont toustes à leur place, sauf lui. et ces messages insidieux ne font que confirmer sa différence, non pas dans les sentiments dont il est accusé et qu’il ne peut nier, mais dans la façon dont ceux-ci sont tournés contre lui-même et surtout contre elle. peut-être est-ce par peur qu’il a gardé ses distances toute la soirée, gauche et incapable d’étouffer toutes ces craintes qu’il ne saurait nommer. peut-être par respect, pour ne pas causer à nouveau ce qui lui a déjà tant coûté. peut-être par lâcheté, pour ne pas avoir à penser à ces mots écrits noir sur blanc faisant le constat de sentiments secrets et refoulés, tus sans être niés. tout ce qu’il sait c’est que c’est trop - trop de bruit, trop de monde, trop d’exubérance d’un monde qui vient de lui prouver une nouvelle fois sa cruauté. il a feint trop longtemps son aisance mais ce soir le masque craquelle, laissant entrevoir une fatigue trop souvent ignorée. alors il se dirige vers la sortie, slalomant adroitement entre les silhouettes pour esquiver ces faciès qui n’attendent que de poursuivre la mascarade avec lui. il est presque à l’atteindre quand une voix l’arrête, recouvrant tout le reste, le brouhaha de la salle et les échos de la musique. juste elle, et son bras qui se raccroche au sien comme pour le retenir. sous son contact gyurae tressaille, après une soirée à se languir de leur distance forcée, autant par ses soins que les siens. suji ! et sa main vient immédiatement se poser sur la sienne comme pour s’assurer qu’elle reste accrochée à lui, pour que rien ne puisse à nouveau les séparer. yeah, i was about to… admet-il en baissant légèrement la tête, espérant qu’elle ne voit pas la détresse inscrite dans ses traits depuis la réception des sms. are you on your way out too ? you seem a little agitated. lui demande-t-il en relevant ses yeux vers elle, observant ce visage qu’il connaît presque mieux que le sien à force de le détailler. il pourrait retracer chacun de ses traits pour former toutes ses expressions préférées, mais celle qu’elle affiche n’en est pas une. le regard hagard, comme un animal apeuré, égaré. il sait que ce n’est pas raisonnable, pas alors que chaque regard posé sur elleux pourrait se faire leur ennemi, mais il ne peut pas s’en empêcher. tout ce à quoi il pense, c’est la réconforter. do you want to go for a walk with me ?

@no suji

qu’importe le mouvement incessant autour d’eux, les corps passant encore et encore pour manquer de les frôler à chaque fois, ses yeux ne quittent pas le visage de suji. peut-être est-ce mieux ainsi, focalisé sur elle et seulement elle, plutôt que sur ce monde étranger et cruel, où chaque paire d’yeux peut se faire leur ennemie. il se fiche bien de tout cela quand tout ce qui compte à ses yeux est la détresse de suji, ses pensées seulement occupées à chercher un moyen de l’arracher à cette soirée assassine et refaire fleurir un sourire sur ses lèvres. il sent sa main glisser de son bras vers son poignet, et d’un mouvement vient entrelacer ses doigts aux siens pour lui assurer qu’il ne la lâchera pas, tant qu’elle aura besoin de lui. yeah. lui souffle-t-il doucement, toute son attention toujours portée sur elle, rien qu’elle. le monde pourrait disparaître autour d’eux qu’il ne remarquerait rien, tant que ses yeux restent accrochés aux siens. let’s get out of here. sa place n’est pas ici, de toute manière. il sera toujours étranger dans ces défilés d’opulence, qu’importe les costumes enfilés et les victoires musicales accumulées, il ne sera jamais des leurs. mais avec la main de suji dans la sienne, cela n’a plus aucune importance. d’un geste délicat, il la tire vers la sortie, loin de cette soirée qui ne ressemble désormais plus qu’à une cage étouffante. il se fiche bien des regards posés sur sa nuque, car tout ce qui compte à présent est d’exaucer le souhait de suji, l’emmener le plus loin possible des éclats menaçants de ces lieux. quand le froid de la nuit de seoul vient leur mordre le visage, il marque une courte pause pour retirer sa veste de costume et la passer autour de ses épaules, ne rompant le contact de leurs doigts seulement quelques secondes pour aussitôt récupérer sa main dans la sienne. here. now i’m sure you won’t catch a cold. lui glisse-t-il avec un petit sourire avant de relever la tête pour héler l’un des taxis stationnés à l’entrée du lotte hotel. quand il repose ses yeux sur suji, la voir ainsi les épaules couvertes de cette veste lui fait grimacer un sourire, superposition de ses ambitions égoïstes et irréalistes. puis, secouant la tête pour disperser ses idées, il s’empresse de venir lui ouvrir la portière de la voiture pour qu’elle puisse s’y installer. let’s get home, okay ?

@no suji

le trajet en voiture est silencieux, leurs doigts entrelacés et la tête de suji posée contre son épaule à défaut de pouvoir échanger tout ce qu’ils ne voudraient pas voir répéter par des journaux. Gyurae s’en contente gaiement, n’a pas besoin de plus finalement. il préfère mille fois ce moment à la soirée précédente, avec toutes ces lumières et ces apparats qui ne font que le faire se sentir à part. avec leurs corps l’un contre l’autre, il ne s’est jamais senti autant à sa place. l’arrivée à l’appartement met un terme à ce moment hors du temps, et il prend le temps d’observer suji de dos retirer les couches de costume que ce genre d’évènements impose pour redevenir celle qu’il reconnaît le mieux. lui a moins à retirer, juste le noeud de sa cravate à desserrer pour enfin avoir l’impression de respirer. s’il pouvait il retirerait son costume tout entier, pour ne plus avoir la sensation de passer pour quelqu’un qu’il n’est pas, mais ce n’est pas possible. il se contente juste de remonter les manches de sa chemise impeccablement blanche en laissant un long soupir s’échapper de ses lèvres, retrouvant enfin un semblant d’aise maintenant que tous les regards ne semblent plus braqués sur lui, à la recherche de la moindre faille révélant ce qu’il cherche tant à cacher. a glass of water would be great. ses doigts viennent passer sur ses paupières pour en faire disparaître la fatigue de la soirée, tandis que dans sa gorge la saveur du champagne reste comme un douloureux souvenir. bulles au goût amer, opulence éphémère dans laquelle se reflète toujours fatalement sa précarité. ce n’est pas le monde dans lequel il a grandi, et tous les efforts qu’il déploie ne le feront pas plus apprécier la saveur de cet éther inaccessible, en ce qu’il lui sera toujours - inaccessible. même le bref sentiment d’assurance qui l’accompagne n’est pas suffisant, et comme le reste s’éclipse toujours bien trop vite. quand ses yeux se rouvrent, c’est la bouteille de soju dans les mains de suji qu’il voit en premier. il a à peine à lever son regard perplexe vers elle qu’elle répond à sa question silencieuse. you don’t have to explain yourself, suji. souffle-t-il en se rapprochant d’elle, un sourire doux sur les lèvres comme pour faire disparaître l’air de détresse sur son visage. il n’aime pas la voir comme ça, effrayée, comme sur le point de s’écrouler, et il craint trop de ne pas réussir à retrouver tous les morceaux. champagne isn’t really my thing either. maybe tonight would’ve been easier if they served soju or beer instead. tente-t-il de la rassurer, quand bien même il devine que cette bouteille de soju ne soit que le sommet d’un iceberg bien plus profond. il n’a juste pas envie que suji se sente gênée, ou honteuse, de partager ça avec lui. maybe we can share one glass together ? i used to do that with my father, back when i was a trainee in gnation. un sourire nostalgique étire ses lèvres à l’évocation de ce souvenir, bien avant que leur relation ne s’envenime à cause de ses choix et surtout de ses mensonges. looking back, i kinda miss these days.

@no suji

le verre qu’elle lui tend brusquement semble s’alourdir entre ses doigts, bien moins léger que les flûtes étincelantes de la soirée et leur liquide doré. ses yeux se perdent dans les reflets multicolores du soju, prenant le temps de ressasser les souvenirs évoqués à la simple mention de leur temps passé à gnation, déjà si lointains dans sa tête qu’il douterait presque de leur réalité. yeah, easier. il pourrait quasiment voir son reflet éthanol se moquer de lui alors qu’un rire jaune s’échappe de ses lèvres. ces temps ont tout sauf été simples, chaque jour plus atroce que le précédent, à jongler entre les entraînements et les petits boulots, à se consumer sous une jalousie et une rancoeur dont son coeur n’est toujours pas guéri aujourd’hui. pourtant, toutes ses peines se retrouvent justifiées par sa rencontre avec suji, et c’est une douce nostalgie qui l’envahit en pensant alors à cette période, quand bien même elle laisse encore un trou béant dans son coeur, son intégrité et son compte en banque.

alors quand elle revient vers lui, il passe instinctivement son bras libre autour de ses épaules. gravité qui les attire inextricablement l’un à l’autre, comme si leurs corps ne savaient plus exister que l’un contre l’autre. il laisse sa tête reposer par-dessus la sienne, les lèvres enfouies dans ses cheveux enfin relâchés, le parfum des produits et des laques chatouillant le bout de son nez. you’re all that matters to me. murmure-t-il contre elle, presque à lui-même. est-ce seulement raisonnable de lui offrir cette place si importante dans sa vie, l’élever au-dessus de tout le reste jusqu’à la rendre intouchable - inatteignable, même par lui ? c’est pourtant tout ce qu’il connaît, lui en-dessous de tout et le reste du monde hors de sa portée. il pourrait vouloir lui offrir autre chose que ce piédestal, mais il ne saurait pas quoi faire d’autre. c’est soit son coeur piétiné, soit le néant, la façade, le mensonge parfait.

oh, outch. le liquide descend brûlant dans sa trachée, mettant le feu à toutes ses entrailles. ça n’a rien à voir avec les bulles délicates de tout à l’heure, celles qui puent l’opulence et le privilège de leur position. le soju lui est violent, et la fièvre qu’il laisse sur son visage lui rappelle pourquoi il n’en buvait déjà que très peu à l’époque, même sous les encouragements de son père. it’s not very… sa phrase reste suspendue, son mouvement de recul comme une valse le temps de cacher la grimace qui vient déformer son visage tandis que ses joues rougissent, autant sous l’effet de l’alcool que de leur proximité qui vient déjà à lui manquer. à suffoquer, autant que réclamer. quand il repose ses yeux sur elle, il n’a qu’une seule envie, noyée dans ses pensées enivrées. sa main retrouve son dos pour mieux les rapprocher, pressant ce derme qui le brûle tout autant que le soju dans sa gorge. il embrasse suji avec douceur, presque trop peur de voir le vertige le quitter et le ramener à sa lâcheté. il en oublie même de respirer, mais il serait plus que comblé ainsi, à mourir sur ses lèvres après en avoir tant de fois rêvé.

@no suji