bad blood (all this bad blood here, won't you let it dry?)
Putain. Qu’elle grommelle pour la centième fois au moins depuis le début de la journée, recevant un regard noir de la part de sa voisine de droite. Cela fait déjà quoi ? Quatre, cinq heures qu’iels sont là à répéter sous les instructions d'un visage trop familier, un nom qu'elle préfèrerait taire s'il n'était pas scandé toutes les cinq minutes. Sujin. En levant les yeux dans sa direction, sa posture parfaite devant le miroir alors qu’elle fait répéter un mouvement à un groupe de danseurs, Jiyun peut sentir sa mâchoire se serrer et ses muscles se crisper. Elle est ici par amitié pour Ren - une aubaine sur laquelle elle ne peut cracher, quand une partie de l’industrie recommence à bégayer en voyant son nom crédité, à la suite de ses … comment les appeler ? Le mot scandale lui fait mal au coeur. Trop de mauvais souvenirs.
Mais Sujin. Elles n’ont pas reparlé depuis que Sujin l’a laissée tomber comme une merde - par professionnalisme, soit-disant. Y repenser lui laisse un goût amer dans la gorge, trop de clopes enfumées depuis leur discussion que ses poumons lui font payer maintenant qu’elle se retrouve à avoir à répéter la chorée. Si elle avait su que Sujin s’en chargeait, elle n’aurait pas accepté. Tout cela ressemble horriblement à un piège, et elle déteste se sentir comme un animal pris en embuscade. Sa colère ne descend pas, tout comme sa rancoeur, et au fur et à mesure que les heures passent, Jiyun peut sentir sa patience s’étioler en même temps que ses membres s’épuiser. Les autres danseur·se·s autour d’elle n’en mènent pas large non plus - elle au moins a l’avantage de connaître le fonctionnement de Sujin, même si ces mois passés à travailler ensemble lui transpercent le coeur à présent. Enfin la pause est marquée, le studio prêté par l’agence dépeuplé. Elle reste en retrait, faisant mine de s’affairer autour de son sac, même si tout ce qu’elle cherche réellement est l’étincelle d’un conflit qu’elle n’a toujours pas digéré. Refermant sa main sur sa gourde, elle finit par se redresser avant de se diriger à grands pas vers Sujin, et qu’importe s’il reste encore quelques silhouettes dans la salle pour les observer. La colère est là, juste au bord de ses lèvres, un amas de rancune que les semaines n’ont pas réussi à démêler, juste à aggraver. Alors, Sujin ? Je suis pas trop scandaleuse pour danser sur l’une de tes chorés, j’espère. Elle avale une gorgée d’eau rapide, dans l’espoir vain que ça éteigne le feu à ses tripes, mais ça ne fait que l’ignifier. Tu peux me le dire, hein. Je commence à avoir l’habitude d’être traitée comme une moins-que-rien.