— Le monde à porté de main, rendu accessible par l’indulgence de foules aimantes et les chiffres accumulés dans un compte en banque qu’on ne prend même plus la peine de regarder. Une illusion face aux impératifs d’une agence prête à exploiter chaque minute de leur quotidien. Cela faisait longtemps que Kiyong n’était pas parti sur un coup de tête; une parodie de vacances. Une décision de dernière minute alors qu’il cherche à combler cette miraculeuse opportunité à sa manière avant qu’on lui impose quelque chose. Une pause pour respirer au milieu d’un emploi du temps frénétique et parfois ingrat. Qu’il la dédie à une autre personne était à la fois surprenant et attendu. S’il détestait être seul - prêt à grimper les murs d’ennui sans interaction - Kiyong n’était pas non plus habitué à pousser tout flirt vers ces limites plus étrangères. Encore moins à inviter quelqu’un dans son intimité. Ce n’était pas non plus si révélateur que ça : une maison de famille vers la côte, près de la mer mais pas trop ; suffisamment pour donner l’illusion d’un échappatoire et provoquer la frustration d’une récompense qui mérite effort. Kiyong n’avait jamais été confortable pour s’étaler sur sa vie privée ou familiale, mais il ne s'agissait pas de ça. Il n’était pas là pour compenser un rencard raté, encore moins pour redorer l’absurdité d’un premier baiser. Peut être juste pour la simplicité égoïste d’un instant où il n’aurait de comptes à rendre à personne. Puisque par miracle Naomi avait accepté cette proposition, alors il n’y avait ni fan ni manager pour lui imposer des réflexes stricts. Pas de compte à rebours avant que les doutes ne s’éveillent. Pas de fausse amnésie et de regards brefs face à un visage que l’on souhaite contempler encore et encore. Malgré les rumeurs récentes s’emparant de leurs noms, Kiyong était étrangement tranquille alors qu’il approchait avec Naomi de cet endroit heureusement peu touristique. Il avait été baigné d’excitation en la récupérant discrètement, animé derrière le volant et ravi de lui présenter sa sélection de snack comme s’ils partaient pour un roadtrip plutôt que deux petites heures. Mais c’est une certaine appréhension qui le gagnait au fur et à mesure qu’ils approchaient. « Nous y voilà » dit-il en apercevant les contours de cette maison qui le connaît sans artifices, conscient qu’il était plus facile de briller au travers de sms ou de moments brefs. « Attention, j’ai une réputation auprès du voisinage, ne me fait pas regretter de ne pas avoir invité un de mes hyungs  » taquine-t-il plutôt que s'attarder sur les failles possibles de son plan.

❝ Le paysage à un goût de déjà-vu : l’aventure, en revanche, est tout ce qu’il a de plus nouveau et désarmant. Permission accordée sous la contrainte de quelques efforts, quelques jours à peine, où elle récupère à l’avance les multiples activités qui l'attendent fidèlement. Elle était restée vague à la demande, et les soupçons au sein de son groupe avaient été plus vifs que ceux de l’agence malgré les dernières rumeurs et les remontrances subies. Aucune annonce autre que celle d’un voyage. N’avait ni prétexté la compagnie de la solitude, ni la présence d’une tierce personne à ses côtés. Elle avait seulement fait comprendre que son corps nécessitait une pause, quand bien même avait-elle fait ses débuts un an à peine auparavant. Comment pouvait-elle se plaindre alors que d’autres n'avaient pas eu cette chance pendant des années ? C’est d’ailleurs toujours un peu honteuse à ce sujet qu’elle se dresse aux côtés de Kiyong, les yeux heureux des merveilles déposées contre son siège depuis qu’elle est entrée avec discrétion dans la voiture, mais surtout charmée de l’invitation : un tournant inattendu dans une relation qui se veut avant tout légère (en dépit des premières festivités, mères de fâcheuses sensations dans le ventre).

Joues collées aux vitres comme une gamine découvrant un nouveau monde. Elle qui n’avait pratiquement voyagé que dans ses rêves se retrouvait aujourd’hui plongée au pays des merveilles. Kiyong qui était resté vague quant à la destination, lui indiquant seulement la température du moment afin qu’elle se prépare au mieux. Malgré tout cet étrange sentiment qui persiste et perdure aux indications du GPS et à l’annonce d’une destination familière. Oh, je vois. Tu es effrayé à l’idée que je hurle ? demande-t-elle, taquine. Attention, je vais le faire dans trois, deux… ! Compte à rebours qui n’atteindra jamais le numéro un, la bouche occupée à rire tandis qu’elle pose sa valise au sol et découvre de son doux regard l'immensité de l’endroit. On entend les vagues de l’océan contre les rochers. Depuis combien de temps n’avait-elle pas vu la beauté des rives marines ? Que ce soit Kiyong à l’initiative de ces retrouvailles rendait la chose plus belle encore, et de ce constat son rictus ne disparaît plus. Mh dans ce cas, je te prouverai que tu as bien fait de me faire cette invitation, en t’offrant ceci… Ses doigts quittent la poignée de sa valise, son corps s’avançant au plus près de celui du garçon, et comme s’apprêtant à rendre ce qu’on lui a offert quelques semaines plus tôt, elle se heurte aux derniers centimètres à lui mettre une pichenette avant de disparaître. À présent au devant d'une porte cachant son rire idiot quant elle constate qu’elle est toujours fermée à clé.

— L’absence de traces laissées par des mains avides contre la vitre, mais le même émerveillement enfantin dans son regard ; Naomi admirait le paysage avec un enthousiasme que Kiyong était tenté de remettre en question. Bouffé d’orgueil de réussir l’impensable - la faire sourire aussi simplement, sans efforts particuliers - mais saisi par la pression d’être l’hôte de cette expédition. Kiyong n’est pas familier à ce rôle. Privilège de maknae, la bouche en coeur et la paresse comme armure, Kiyong suis le mouvement de ses aînés et de son staff, habitué à être guidé et trimballé d’un point A à un point B sans se soucier d’autre chose que des minutes de sommeil à gagner. Kiyong ne promet rien de mémorable à la belle à ses côtés, se moque de s’attarder dans des souvenirs jalousés tant qu’il insuffle juste ce qu’il faut de plaisir dans l’instant. La bâtisse se dessine devant eux, intimidante et réconfortante à la fois, invoquant l’assistance de l’humour à défaut de paroles plus sincères. Pari gagnant, c’est le sourire aux lèvres qu’il laisse la voiture dans l’allée, s’extirpe du véhicule et évite de préciser l’âge avancé des voisins les plus proches. Ils peuvent crier autant qu’ils veulent, se défaire de leur bienséance d’idols et s'embarrasser du plaisir simple d’être bruyant et incorrigible. Mais Naomi ne prend pas le risque, laisse la blague s’éteindre dans un rire pour enchaîner avec une nouvelle menace ; le genre qu’on anticipe, peu importe les risques. Elle s’approche et c’est le regard vissé sur des lèvres presque familières que Kiyong attend. Pas de dispute préalable, pas de condamnation de l’autre côté d’une porte ; juste l’air marin et l’écho des vagues pour recevoir la plus douce des choses. Ouch. Une main qui surgit pour couvrir un affront sans douleur, si ce n’est à l’égo, mais l’hilarité se partage alors qu’elle prend la fuite vers la porte d’entrée. « Nope, on fait demi-tour, j’ai changé d’avis » boude–t-il faussement en la rejoignant. « je t’autorise juste un verre d’eau et un passage aux toilettes avant de repartir car j’suis un gentleman quand même ». Un jeu de clé qui ne lui appartient qu’à moitié, alourdis de babioles, et c’est à deux fois qu’il s’y reprend avant d’ouvrir la porte. L'effort de retenir un "tadaaa" nerveux est monumental. « Je te fais visiter ? »

❝ Il y a cette sorte de tension qui s’installe, à mi-chemin entre l’envie et la honte d’être ici. À ses côtés comme s’ils n’avaient pas une montagne de responsabilité là-bas. Capitale désormais éloignée d’eux. Rien qui ne dure éternellement, pourtant quelque chose que l’on espère secrètement. À vivre comme des personnes normales, lambdas - en dépit du rêve qu’ils chérissent, assoiffés de cette reconnaissance mondiale, en quête de leurs chants dans une foule aux couleurs de leurs drapeaux.  À se prendre au jeu d’être ordinaire quand ils sont exceptionnels aux yeux de la nation. Ont-ils seulement le droit d’être joueurs à ce point-là ? À la limite du raisonnable lorsqu’elle s’approche de ses lèvres sans jamais les atteindre ; une prise de conscience déconcertante à la dernière frontière. Parce qu'ils sont dehors ils pourraient être vus. Parce qu'ils sont proches, un nouveau scandale pourrait naître. À ne jamais vraiment être libre de faire ce qu'ils aiment en légèreté. Le flirt facile soudainement difficile dans cette réalité où aucune porte ne les protège totalement. Rire à en faire disparaître les craintes. C'est l'insouciance encore palpable qui guide ses pas. Elle rentre dans son jeu, panse les fausses plaies de ses doux doigts. « Comment ? Veux-tu vraiment mettre à la porte une aussi charmante jeune demoiselle telle que moi ? » Cette mine boudeuse qu'elle imite. Deux enfants face à une porte qui s'ouvre finalement. Laisse apparaître devant les yeux de Naomi un univers qui lui est encore inconnu. Envieuse d'en connaître les moindres recoins. « Oui. Avant que tu ne me chasses, fais-moi cette visite. Ingrat. » qu'elle glisse en hochant la tête. Les dos de leurs mains qui se frôlent lorsqu'elle entre dans la demeure. À faire battre la fragilité.

— Taquinerie et flirt léger, un échange verbal presque devenu routine ; une bouée à laquelle se raccrocher lorsque le doute encercle les chevilles, prêt à l'entraîner dans les profondeurs sans le moindre souffle. Un pied dehors et un pied dedans, le dernier palier avant l’irréparable. Une maison faite d'indices aussi insignifiants qu'essentiels, là pour révéler toute la banalité et égoïsme de celui qui ne brille d’en dehors de ces murs. « Hmm c’est vrai que je ne risque pas de trouver plus charmante dans les environs. Ok, tu peux rester », un sourire et une fausse indulgence aux lèvres alors qu’ils entrent tous deux dans la demeure. Kiyong n’avait jamais eu à faire visiter cette maison à qui que ce soit et ne savait pas vraiment comment commencer. Il y avait quelque chose d’idiot dans le fait de ponter l’évident - là c’est une cuisine, là un salon - comme si l’entièreté de la race humaine ne partageait pas les mêmes besoins domestiques. « Tu ne peux plus fuir maintenant », scellant leurs mains comme une promesse mais surtout une excuse, l'entraînant avec lui dans l’entrée ouverte sur l’espace commun. « Voici la pièce principale », une cuisine et une table à manger sur la droite, ouverte sur le salon disposé de l’autre côté, un assemblage neutre tout en blanc et teinte de bois clair, de quoi laisser le soleil de la côte inonder l’espace. Kiyong enchaîne et ballade Naomi dans le reste du rez-de-chaussée : une buanderie, un accès au garage et une chambre parentale avec sa salle de bain dans laquelle il ne s’attarde pas le moins du monde. Pas plus que sur les photos affichées aux murs ou ornant les meubles. Des tranches de vie dont il se sent parfois à des années lumières, absent de certaines et désintéressé d’autres. Peu de témoins d’une vie lointaine où n’existaient que Kiyong, sa mère et l’absence sourde d’un père. Ils montent à l’étage, s’arrêtent sur la chambre partagée par les jumeaux, un bureau faisant office de chambre d’amis à l’occasion et une salle de bain, avant de s’arrêter devant une dernière porte.« Ma chambre » dit-il, faisant tout un sketch d’actionner la poignée avant de laisser sa silhouette obstruer l'entrebâillement, comme pour masquer l’immontrable. Il n’y avait rien de très personnel à dévoiler, pas dans cette maison de vacances dans laquelle il séjournait peu. Quelques vêtements abandonnés, quelques babioles, quelques souvenirs de longs étés insouciants. Alors Kiyong laisse la porte s’ouvrir pleinement, ravi de voir que la pièce n'est pas dans l'état où il l'avait laissé la dernière fois. « Le lit est un peu petit, mais si tu as peur de dormir seule dans une maison inconnue, je suis sûr qu’on pourra s’arranger »

❝ Les mains qui s’entrechoquent et c’est un nouveau monde qui s’ouvre à elle ; pas qu’elle est envieuse d’en faire la cueillette, simplement curieuse de connaître les anecdotes d’une enfance qui semble quelquefois toujours présente. « Deux minutes avant il me chasse, maintenant me voilà prisonnière. » Le syndrome de Stockholm à la poésie des rictus révélateurs. De cette légèreté qu’ils embrassent à chaque fois qu’ils deviennent complices de leurs taquineries. « Sans toi, je ne l’aurai pas deviné. » qu’elle ajoute à l'annonce. Une visite de bonne forme - c’est surtout que ses yeux parcourent rapidement les quelques photos accrochées aux murs. À en faire la découverte d’un visage qu’elle reconnaît ; silhouette miniature qui n’est étrangère en rien, pourtant si loin de comprendre d’où vient cette sensation. Familiarité absurde venant d’une idole qui poste chaque année un morceau de lui lorsque vient la journée des enfants, à se méprendre d’une réalité plus cliché qu’il n’y paraît. Souvenirs bercés sous l’éclat de la nostalgie ; de ces dernières vacances passées en un semblant de famille à l'aube des mauvaises heures.

L’instant voilée s’estompe - après tout, il ne reste qu’une pièce. Qu’on devine derrière ce sourire gêné. Spectacle amusant où, de sa belle prose, Kiyong peint les joues de la demoiselle de cette teinte rose qu'il aime. « C’est ta façon de me dire que tu es effrayé à l'idée que je trouve plus confortable ton canapé poussiéreux à tes abdos d’aciers ? » L’embarras face à sa stupide imagination - qu’elle cache derrière une taquinerie plus embarrassante encore. Alors il y a ses doigts qui se resserrent contre les siens. La fragilité qu’elle dévoile dans cette étreinte inespérée. À se faire timide, désireuse d’être rassuré.


« Il fait chaud, non ? » demande-t-elle sans attendre de réponse. « Si tu m’emmènes au bord de l’océan et qu’on ne s’y baigne pas, c’est un affront. Même sous la neige j’irai. Ça fait trop longtemps. » La silhouette qui se dérobe et quitte la paume d’une main certainement moite. Elle a chaud et ce n’est pas à cause du soleil qui tape contre la baie vitrée. C’est surtout la fièvre des premiers émois qui ne lui réussit pas. « Je veux au moins y mettre les pieds ! » annonce-t-elle.

— Naomi était une audience rêvée, indulgente et douce, le suivant dans ses banalités avec une curiosité évidente pour tout ce qu’il taisait. Des photos sur les murs où se reflétait son visage enfantin aux quelques diplômes témoignant de ses rares accomplissements scolaires ou sportifs, les traces d’un Kiyong connu de personne se confrontaient à l’ignorance de leur protagoniste. Il était plus simple de déambuler avec paresse d’une évidence à l’autre ; plus agréable de sentir une paume se contracter dans la sienne au détour d’un couloir. Face à l’opportunité d’une pièce noyée de sous-entendus, Kiyong n’avait pas pu s’empêcher de provoquer Naomi, éternellement avide de chacune de ses réactions. Une teinte pourpre aux joues et un regard fuyant comme récompense et il n’y avait nulle part où se cacher. La belle accuse mais ne se démonte jamais, une répartie aux lèvres qui le régale encore plus. « Mais pas du tout », le pouls qui s’emballe contre la peau délicate de ses doigts, « C’pas sympa pour le canapé. Il est super confortable ! Et puis c’est plus mes biceps qui feraient un excellent oreiller ». Prêt à le tester, volontaire pour prolonger une proximité en ce lieu familier mais vide; tel un enfant en colonie prêt à désobéir le couvre-feu pour quelques messes basses avec un nouvel ami éphémère. Kiyong l’observe, conscient de la légère tension qui émerge, le genre à faire baisser le regard sur des envies discrètes, le genre qui s’enflamme dans le silence. Alors Naomi les amène vers des chemins plus sûr et Kiyong s’amuse de cette pudeur qui délie leur main. « Tu trouves ? », juste pour être difficile. « C’est ta façon de me pousser à me mettre torse nu ? Je peux pas, il y a des regards partout sur la plage », des mots renvoyés à leur expéditeur, atténués par un rire que l’on peine à retenir.  « Mais vos désirs sont des ordres », de quoi laisser l’air marin leur fouetter le visage et les détourner d’une petite pièce et toutes les provocations qui s’y trouvent. Kiyong prend le temps de ramener leurs valises à l’intérieur avant d’emprunter un petit chemin derrière la maison pour rejoindre l'océan à plusieurs mètres de là. Deux idols soudainement simples silhouettes sur l’étendue de sable, tout le monde et personne à la fois, sages et silencieux devant l’immensité. « Je passais des heures ici gamin », comme un poisson dans l’eau, garçon qui n’avait pas encore à craindre d’être épié, libre de laisser le sable lui coller aux jambes et un crush estival empourprer ses joues.  

❝ Des tensions inévitables. Dans l’évidence de cette invitation où les âmes victimes de nouveaux désirs se retrouvent soudainement isolées (à l'abri des regards). Là, à s’en mordre les lèvres lorsqu’elle lui tourne le dos, et quitte la pression d’une main rassurante en empruntant la première issue de secours. Obstacle - qui n’en ai pas vraiment un - oublié, laissé dans un coin, et qui sera toujours plus gros lorsque le soleil perdra de son éclat et qu’ils deviendront complices sous les rayons d’une lune silencieuse. Imaginaire palpable, les joues plus rouges encore tandis qu’elle franchit la porte et s’avance joyeusement dans les contrées nouvelles. Adulte soudainement redevenue enfant sous le sable chaud de la plage, à rire bêtement lorsque Kiyong suit ses traces. Presque à vivre dans la banalité d’un quotidien permis.


Qu’est-ce que le Kiyong enfant aimait faire ici ? demande-t-elle. Toujours envieuse de connaître plus de lui alors qu’elle plonge son regard en direction de l’horizon infini. Les plages qui se ressemblent toutes, les activités similaires, mais tellement de bienfaits à perte de vue. Est-ce que tu faisais du sport maritime ? C’est plutôt calme, non ? J’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup d'activités dans le coin, mais on n’est pas en haute saison. Ses yeux qui parcourent le moindre détail. Puis, finalement, elle retire ses chaussures, et les attrape dans sa main. Insignifiance aux regards de certains, quant au sien c’est tout un univers qui s’invite, à rire aux éclats lorsque l’eau chatouille ses pieds. Ou t’étais plutôt du genre à faire des batailles avec tes amis ? qu’elle ose, lui laissant à peine le temps d’attendre une réponse qu’elle l’affronte en éclaboussant sa silhouette dans l’insouciance la plus pure soit-il.

— L’air marin, terriblement familier, prêt à leur fouetter le visage et leur gercer les lèvres ; un contraste saisissant avec l’atmosphère des heures précédentes. L’air chargé d’excitation et de regards complices dans l’habitacle d’un véhicule. Les souffles entremêlés dans la proximité d’un couloir, prêts à s’embraser sous l’ardeur de paroles provocatrices. Peut-être avait-il effectivement besoin d’un grand bol d’air frais. Des silhouettes comme tant d’autres sur l’étendue d’une plage, Kiyong ne s’inquiétait pas qu’on les surprenne. Il n’avait pas envie de regarder par-dessus son épaule, craindre l’intransigeance d’un objectif et louper la douce investigation de Naomi. La question était innocente mais Kiyong ressentait pourtant une hésitation brève et absurde face à une vérité qui n’appartenait qu’à lui. « Je nageais surtout » dit-il, les mains dans les poches et l’air espiègle. « J’étais doué, tu sais. J’aurai pu être pro », toute une panoplie de “si” pour refaire le monde, mais Kiyong aimait s’imaginer un destin indissociable de toute forme de popularité. « Dans un autre univers tu m’aurais vu gagner une médaille d’or à la télé et serais encore tombée sous mon charme », un soupir mélancolique et exagéré aux lèvres, bientôt inondées de sel. Oh, c’est froid. « Tu veux vraiment que je me mette torse nu, hein ? ». Kiyong enlève ses chaussures machinalement, posture nonchalante avant de bondir, la saisissant par la taille pour la hisser du sol. Malhabile sur le sable, volontairement maladroit face à l’approche des vagues « J’étais pas doué pour me faire des amis, tu le crois ça ?  », les deux pieds revenus au sol, le clapotis de l’eau contre la peau délicate de leurs chevilles et une proximité qui avait l’audace de se montrer au grand jour. « une fois je me suis bagarré avec une fille pour le dernier paquet de chocopies. », ironiquement, sa plus belle amitié de vacances. Un souvenir lointain, point de départ d’une nostalgie sourde, baignée de flash tendres et de sensations intangibles, presque imaginaires.

❝ Les yeux se ferment un instant, s’imaginant alors une vie différente de celle d’aujourd’hui. Une vie où l’insouciance était ce qui formait le noyau de cette existence : avant que s'entremêlent les angoisses, les craintes, les responsabilités et toutes les surcharges accumulées silencieusement, formant alors l’ADULTE qu’ils sont devenus au fil du temps. Comment auraient-ils été s’ils s'étaient rencontrés enfants ? Auraient-ils été empruntés de cette même joie à la moindre éclaboussure ? Sous quelle émotion aurait-elle été traversée si elle s’était envolée, enveloppée dans ses bras ? Se seraient-ils bagarrés sincèrement, espérant prendre la dernière friandise proposée dans ce magasin plus au loin ? À rire sous l’éclat du soleil, se serait-elle permis de croire au reflet de cette RÉALITÉ ? De ces souvenirs imbriqués.


Peindre les traits de leurs regards sous la pénombre des certitudes, lorsque le doute s’installe. De ses mains qui recouvrent ses lèvres, à s’en rendre cruelle. Prétends-tu ouvertement que nous sommes liés l’un à l’autre dans n’importe quel univers ? La mine faussement surprise, ô la grande actrice. Lorsqu’elle s’approche de lui, empêchant l’éclosion d’un rire chamarré à vue de nez. Tu es épris au point de croire au destin ? Souffle coupé face à une réponse redoutée, pourtant initiatrice de ce questionnement battant. Naomi qui se plaît à être l’héroïne d’une romance sans nom, mais qui s’impatiente parfois face au mystère planant. Se demandant si elle s'égare de ses objectifs en prenant des risques équivalents, chaque fois qu’elle fait part de ses sentiments. Si tu as une médaille retransmise à la télévision, je suppose que tes groupies me barrent encore la route. Ce scénario me plaît moins. Il n’y a pas un univers où tu mènes une vie simple à la campagne, populaire auprès des grands-mères du village ? S’en ai presque amusant, ce monde où Kiyong élève les moutons mieux que personne, arrosant les fleurs en espérant le bouquet parfait. Vision brouille dès l’instant où son corps qui la raison, s’envolant finalement sous les horizons moins discrets de la plage. Les vagues caressent ses pieds : tout de suite apaisé, à la croisée de son enrobé.

C’est marrant parce qu’il m’est arrivé pratiquement la mê… Morceau d’enfance débloqué lorsque son esprit la renvoie des années plus tôt en arrière. Ce garçon légèrement plus taillé devant elle, tandis qu’à la pointe des pieds elle espère prendre en main les gourmandises sucrées. Bagarre qui avait duré, jusqu’à ce qu’ils partagent les miettes du paquet éclaté - forgeant l’amitié oubliée. Les mots restent bloqués, et comme l’enchantement de ces moments sacrés insufflés, elle s’embrase sous les braises de ses lèvres.